Introduction : L’IMAGE ET LE SYMBOLE

En 1989, Jean-Charles me donna un exemplaire de son dernier ouvrage, publié par les Editions de l’Association des Etudiants en Médecine de Nantes. Il faisait suite, en quelque sorte, aux recherches qui donnèrent lieu à la publication des « Précis ridicules ». C’était, me dit-il, une illustration des dialectiques machinales, plus abordable que « La Machine de l’éternité ». C’est pourquoi il me semble important de le  porter à votre connaissance.

Pierre-Jean Debenat

LES DIALECTIQUES FACTRICES

dans les quêtes du Graal

et les alchimies

 

 

Les uns (mythomanes ou scientistes) se croient

toujours en possession des clés;

les autres, les savants, les mythologues,

les cherchent.

SOMMAIRE

L’IMAGE ET LE SYMBOLE

Première parie : LE GRAAL

I – Les formes du temps

II – Les temps d’une mode

III – Les modalités d’une mise au point

IV – Les mises au point de l’objectif

Deuxième partie : LES ALCHIMIES

I – L’objectif des inversions

II – L’inversion des symétries

III – La symétrie des abrégés

IV – L’abrégé des formulations

V – La formulation des ambivalences

Troisième partie : LA FORME VIDE

I – L’ambivalence des applications

II – Les applications de la table

III – La table des matières

LES MACHINES ANNEXES

 

 

L’IMAGE ET LE SYMBOLE

 

L’homme de raison et l’homme de foi prétendent tous deux à la saisie objective de ce qui est, soit par la perception, soit par la conception de l’Objet. Mais, très souvent, pour les besoins de leur cause, ils confondent ces deux sortes d’objets : l’objet dont l’homme — JE — est l’origine : une fugue musicale, un poème, une peinture, une machine, un système, et celui dont je ne se donne pas pour l’origine et que, seul, il prétend « réel » : un animal, un végétal, une substance minérale, etc.

Dans le premier cas, je considère l’objet comme une lecture de quelque chose d’autre, que l’objet eut pour fonction de représenter, de reproduire ou d’imiter : il n’est rien qu’une image de la réalité. Dans le second cas, je ne peut approcher l’objet que par une lecture particulière, que je dira scientifique ou rationnelle et qui ne sera jamais qu’une lecture de symboles déterminés (mathématiques, chimiques, etc.).

Du moins, telles furent les deux formulations de l’objet, les deux vocables utilisés par je depuis deux siècles pour dire « l’objet comme » : l’image, et « l’objet par » (la constitution de ces symboles-là). L’image ne concernait que les aspects du réel, rendus + ou – fidèlement par l’artiste ou le mythologue, mais aucunement la substance même de la réalité. Le symbole ne traitait que de cette matière (en sa masse ou son énergie), mais aucunement des aspects de l’objet réel : quand j’ai dit les cellules, molécules ou atomes qui constituent un arbre, je n’ai rien dit de l’arbre, de la couleur de son feuillage au crépuscule, à l’aube, à l’automne, au printemps.

Plutôt que la chose en soi, le vocable : objet en venait à nommer le but, la projection de la lecture. L’objet de l’art était une ressemblance parfaite avec la chose, comme l’affirmait le naturalisme, le réalisme, le cinéma-vérité. L’objet de la science n’était que la constitution d’une méthode ou technique exacte dans l’approche de la réalité. Plutôt que la beauté, l’objet de l’image était une « conformité »; plutôt que la vérité, l’objet du symbole était une « exactitude », une justesse.

Mais, vers le milieu du 20ème siècle, soudain, les deux vocables ont inversé leur sens. De nombreux chercheurs auront concouru à cette inversion. Mais se peut dater de l’invention des Grandes Images par Jung (autour de 1940) et du Système de symbole physique, par Herbert A. Simon, trente ans plus tard. Etrangement, Jung ne fut d’abord qu’un médecin, Simon qu’un économiste, techniciens (scientistes) l’un et l’autre. Ils recouvraient et justifiaient, que ce fût consciemment ou non, une longue suite de poètes, de peintres et de musiciens mythologues, depuis Edgar Poe ou Baudelaire jusqu’à Roussel, Artaud, Michaux, depuis l’impressionnisme jusqu’à Magritte ou Dali, depuis la musique romantique jusqu’à la musique sérielle.

Or, il s’agit toujours, ici et là, d’une intériorisation de la notion d’image, d’une extériorisation  de la notion de symbole.

Pour Jung, les Grandes Images ne sont plus des aspects de l’objet humain mais comme des éléments — scientifiques — de la connaissance la plus intime de l’Etre. Pour Simon, le Système de symbole physique déborde le champ scientiste : il ne constitue pas l’étude ultime de la matière, de la vie, de la pensée (par l’atome, le gène, le neurone) sans expliciter la fugue musicale, le poème ou la fable. Au cœur de l’être, la Grande Image est constituée de la substance même. L’homme du Poisson n’est pas l’homme des Frères. Non seulement l’objet mais le sujet qui l’observe (JE) ne sont que des composés de Grandes Images, dont l’étude révèle la réalité profonde (l’Inconscient).

A l’inverse, en tant que véritable, le symbole n’est pas seulement un élément de la recherche scientifique. Il ne peut être distingué du Système qui l’utilise. Ce système (de symbole physique) n’est pas constitué de symboles, mais il est lui-même symbole, tel que le système de Ptolémée ou celui de Kepler, le système de Newton et celui d’Einstein. Plus : ce système également celui de Charles Perrault (en ses contes) ou de Bach (en ses fugues). Je pourrais dire qu’un sub (ou sur) conscient impose le même ordre symbolique à Virgile et à Ptolémée, aux Rose-Croix et à Kepler, aux poètes de la Golden Dawn et à Planck.

Si étrange qu’elle soit, cette révolution de Jung et de Simon n’est pas vraiment nouvelle. Car il y eut de nombreuses époques (avant le 18ème siècle pour la dernière) où le symbole fut reçu pour le signe extérieur de la réalité : exactement, ce qui est manifesté, et l’image pour la saisie la plus intime de l’être : « l’homme est fait à l’image de Dieu ». Le signe/symbole, alors, n’était que l’aspect visible, sensible, de l’image/substance.

Pourrait-on en déduire que, quelque part, les Grandes Images et le Système de symbole physique sont synonymes? Que les unes peuvent être prises l’une pour l’autre? Il s’ensuivrait que l’image (et l’œuvre d’art, la mythologie qui la porte) et le symbole (et toutes les sciences qui en usent) expriment et contiennent la même réalité; ou, qu’au bout des deux quêtes, l’homme-je doit se reconnaître également ignorant — ou savant — de ce qu’il est. Jung et Simon le disent, en pariant tous les deux sur le Savoir (final) de Je. Mais, avant eux, bien sûr, des dizaines de savants, depuis Archimède et Démocrite, sinon depuis les experts, les « apkalu » de Sumer.

Des milliers de mythologues et d’artistes l’ont montré, dont les vestiges, les ruines et les textes, nous prouvent l’existence depuis 6 000 ans aussi. Car, moins nombreuses que les systèmes de symbole physique, les Grandes Images sont plus durables, et plus diversifiées.

Une autre conséquence de la synonymie serait qu’en de certaines époques, le système de symbole physique se fait une grande image, ou à l’inverse, le rationalisme un nouveau dieu, ou à l’inverse, et l’histoire nous prouve qu’il en est bien ainsi.

L’objet de ce livre n’est pas autre que l’étude des processus par lesquels la Grande Image se fait un Système de symbole physique : ce sont les Quêtes du Graal, lors du dernier renversement. Et l’étude des processus par lesquels le Système de symbole physique donne lieu à de nouvelles Grandes Images : c’est toute l’alchimie. Il n’en suit pas que les quêtes du Graal et l’alchimie révèlent ce qui est l’Etre en soi. Mais aucune quête et aucune science ne le révèlent, bien qu’elles l’imitent, le créent ou le connaissent parfois, soit symboliquement, soit par l’image.

Je ne peut parler des Quêtes ou de l’Alchimie sans dire leur « objet ». Mais cet objet ne sera jamais qu’une image ou un symbole, dans les sens — tout contradictoires — que je viens tenter de définir.

Il reste que ce changement — s’il est possible — du Système de symbole physique (S.S.P.) à la Grande Image (G.I.) ou à l’inverse, n’est pas contenu dans l’image (une figure) ou dans le symbole (un nombre), c’est-à-dire qu’il échappe à la lecture de l’objet. Au contraire, le changement se caractérisera comme ou par un fait, dont Je sera la cause : on parlera d’un acte, ou dont le processus échappera au Je : on parlera d’un évènement.

Il s’ensuit que la dialectique du fait se présente à l’inverse de la dialectique de l’objet, ou le change à l’inverse de la lecture. Considéré comme indépendant de l’homme-je, le symbole n’est connu, approché que par une méthode bien définie, un S.S.P.; considérée comme dépendante, l’image n’est perçue ou reçue que comme une représentation, fidèle plus ou moins, du réel. Au contraire, le fait d’origine humaine, l’acte, est reproductible par un ordre de symboles ou un système; le fait non-humain, l’évènement, n’est reçu que comme semblable, ou non, à quelque change déjà connu : le typhon évoque une courbe refermée sur soi-même, un cycle, je le nomme un cyclone.

Pour être perçue, la G.I. intériorisée (archétypale) devra être conçue comme un Système de symbole physique, mais aussi modifiée par l’acte (médical, psychanalytique). pour être seulement nommé, le S.S.P. extériorisé devra passer par le canal d’une ou de plusieurs G.I., exhaustives ou valorisantes.

Il en est ainsi, par exemple, quand une G.I. religieuse se fonde sur un évènement, mythique ou phénoménal : la Création d’Adam, l’Alliance d’Abraham, la Passion du Christ. Le S.S.P., alors, est la religion même qui naît de la G.I. : sumérienne, hébraïque, chrétienne. Il s’agira d’un S.S.P. rituel ou liturgique, qui reproduira chaque jour, chaque semaine ou chaque mois le mythe originel.

Il en est ainsi, à l’inverse, quand un S.S.P. d’origine humaine ou scientiste, se fait, à la longue, une G.I., comme le système de Ptolémée a imposé au monde romain une certaine image du Cosmos; ou le système de Copernic, douze siècles plus tard, une image du Cosmos toute différente.

L’Histoire montre que le premier change mène d’une Promesse à une série de déliements, de désobéissances, qui ne sont jamais que des actes; et que le deuxième change mène d’une sorte de Défi à une nouvelle Réponse, valable un certain temps comme représentative de l’univers.

Mais dans ce dédoublement de la dialectique première (image ou symbole) par la seconde (acte ou évènement), je ne peux plus parler de synonymie, car il n’est plus de sens commun entre la lecture de l’objet d’une part et le change ou le fait de l’autre.

Il est possible, néanmoins, qu’une communauté demeure entre les deux directions ou les deux sens (irrationnel et rationnel). Cette communauté sera une homonymie. C’est ainsi qu’un objet localisé (une banlieue) et un acte de défense se diront tous les deux : parage. Puis, le parage, comme acte, et un ensemble d’objets, de parures, se diront tous deux : parade.

Si je considère le changement comme un passage plus ou moins passager, ce pourra être une rue, plus ou moins peuplée, ou un vol, plus ou moins rapide. Si je traite de rues ou de voies, au carrefour, je dis le passage à niveau, le PAN; si je traite de la vitesse et de la charge d’un coup, d’une agression, je dis le passage à tabac, le PAT. Le PAN ordonne le déplacement, le PAT entraîne une mutation. Or, il n’est de change que de l’un ou de l’autre, c’est un déplacement ou une mue.

C’est donc par le jeu de mots ou par la méthode des homonymies que le jeu des figures, des images, et celui des symboles-nombres peuvent se rassembler en ces deux approches du réel : la G.I. et le S.S.P., si étrange, si improbable qu’en soit le rapprochement. Nous tenterons de le démontrer dans ce livre.

Mais la tâche n’en est pas aisée. Comme on le voit par le  simple change de deux dialectiques évidentes en une diversité de dialectiques déjà considérable. Car je ne peux pas traiter de certaines homonymies de l’image et du symbole, dans la Lecture, sans traiter aussitôt de leurs changes (de l’une en l’autre ou à l’inverse), de l’évènement ou de l’acte; puis des sens de Parade ou de Passage. Du peuplement, dans l’espace, et de la rapidité dans le temps, ou du carrefour, du PAN, et du conflit, du PAT, etc.

A ne considérer que les 4 : les 2 lectures et les 2 faits d’une part, les 3 de l’autre : l’horizontale, la verticale, les diagonales, deux schèmes bien différents apparaissent nécessaires :

Ces schèmes ne sont pas de mon invention. Le premier reproduit la croix sur laquelle se fonde la physique moderne : le Temps à la verticale, l’Espace à l’horizontale (en donnant les lectures pour une vision classique, très ancienne, de l’Univers et les Faits pour une conquête récente d’une autre science, relativiste et quantique). Sans doute, ici, le S.S.P. domine, par le symbole et l’acte, mais l’ensemble est bien une Grande Image (par exemple, celle des 4 cordes ou Modèles d’Univers), et le Système se veut soumis à l’évènement.

Le second schème reproduit la croix par laquelle l’épistémologie explicite les objets et les changes du langage, depuis de Saussure jusqu’à Hallyn, mais aussi par laquelle Jung, Eliade, Teilhard de Chardin (et Baudelaire, Mallarmé, Valéry avant eux) ont conçu l’univers de l’évènement et de l’image. A la verticale, une plongée, une « retombée », de la Transposition, de la Noosphère à la pression des faits; à l’horizontale, une multiplication, une complexification des actes, par l’autre presse, dans la Biosphère de Chardin, ou par la syntagmique des linguistes. La Fable verticale, le Principe horizontal, toujours.

Il est sûr que les quêtes du Graal ignoraient tout de l’épistémologie, ainsi que du « symbolisme »; certain que l’alchimie n’a rien su des physiques subatomiques. Mais nos sciences de la lecture n’ignorent pas tout du Graal, ni nos sciences physiques de l’alchimie. D’où, la passion de Jung pour le Graal, d’où celle de Guilli et d’autres biochimistes pour l’alchimie. Si quelque ethnologie (la science des traditions) guide nos psychanalystes, le rêve alchimiste : l’algorithme universel ne cesse de hanter nos physiciens et nos biologistes. Aujourd’hui comme hier, le change de la Promesse au déliement nous désespère; le change du défi à la réponse nous exaspère et nous relance — envers et contre tout.

Jean-Charles Pichon

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