LES ALCHIMIES II – L’inversion des symétries

II

L’inversion des symétries


Le premier objet de ce livre fut de tenter de montrer :

a) la coexistence des Quêtes et de l’alchimie, comme Grandes Images celles-là, par Système de symbole physique celle-ci;

b) la coïncidence dans le temps (le 7ème siècle) et dans l’espace (à l’ouest) du Graal et de l’Or/substance, comme et par la réalité de l’objet en soi, de l’Objet Divin.

Mais, en ce qui concerne le premier point, tous les commentateurs de l’alchimie savent que sa durée fut beaucoup plus longue que celle des Quêtes. De Gauvain à Galaad, les Quêtes n’ont pu commencer avant le temps d’Arthur (le 5ème siècle) et tous les livres qui en traitent étaient écrits en 1230/1260, même si d’innombrables poèmes, opéras ou études en répètent les thèmes et les exploits jusqu’à notre époque. Une alchimie (des Teintures) existait trois siècles avant le Christ; une autre (de pure fabrication) nourrit l’espérance de certains hommes jusqu’au 18ème siècle.

Il fut un temps où les deux recherches coexistèrent, par l’acte ou la lecture. Il y eut des temps, de -360 à + 450, ou de 1300 à 1800, où elles ne coexistèrent pas, les Quêtes du Graal inexistantes.

En ce qui concerne le second point, les chapitres qui précèdent, déjà, ont découvert plus de différences entre la Coupe et l’Or qu’ils n’y ont révélé de ressemblances ou d’analogies.

S’il est vrai que 2 notions apparaissent communes à l’Or et au Graal, 2 autres notions propres à l’Or se différencient absolument des 2 autres notions  propres au Graal.

Les 2 notions communes sont le Continu (la cohérence) et le Discontinu (par le partage ou l’effeuillement). L’alchimie parlera de coagulation, dans l’Un, de dissolution dans le divers, là où les Quêtes parlent du Sang et de la Partition, de la première Coupe ou de la dernière.

Les 2 notions propres au Graal jouent de la maintenance (par l’arche, la nef) et du changement, par l’arme : pénétrante la lance, sécants les ciseaux. Elles ne peuvent être étudiées que dans la succession : le Vase qui contient précède le Vase vide, Gauvain Galaad, le noble le roturier, la fable le principe, etc.

Les 2 notions propres à l’Or jouent du contenant et du contenu, de l’espèce et du genre, par les Sciences et les Arts, ou les Jeux et les Vertus. Mais ce sont toujours les Cardinaux d’une part (ou les 4 Eléments), les Natures ou physis de l’autre (les Personnes de la Trinité). Leur complexité provient de leur simultanéité : il n’y a pas d’espèces sans genre, ni, à l’inverse, de généralité sans spécialisation.

Si le lecteur veut reconduire ces 3 : une communauté, 2 divergences, aux 4 qu’il ne distingue plus, il devra dire le continu et le discontinu d’une part (dans la liaison), le successif et le simultané de l’autre (dans l’opposition). Mais ce sera par le partage de la simultanéité en espèces et genres dans le dehors ou le dedans, et par le partage de la succession en association, vers la maintenance, de la dissociation vers le changement, dans l’avant ou dans l’après.

La tentation sera vive — et nécessaire peut-être — de ramener ces 6 aux 2 (quels qu’ils puissent être). Je pourrai que les quêtes du Graal se fondent sur des matérialités : les personnages, les instruments, et que les alchimies se fondent sur des formulations : le carré ou le cube de la pierre, la triangulation des feuilles, le cercle ou la sphère (l’Ouroboros), la croix de la partition, etc.

Il semblerait que la Croix dût triompher ici et là, comme le fait d’ailleurs, pour Perceval (son ermitage) et pour Galaad (son écu), pour Etienne (l’horizontal, le vertical) et pour Scot Erigène encore (les Eléments). C’est qu’elle partage le Cercle et révèle les triangles. Mais le problème demeure : comment concrétiser les Cardinaux?

Ce ne peut être par le continu et le discontinu, le successif et le simultané, bien que mille quêteurs ou chercheurs l’aient tenté depuis l’an Mil. De ces 4, lequel serait au nord, au sud, à l’est, à l’ouest?

Pour apprécier — dans la durée — la complexité du problème, rien de mieux que d’étudier, sans plus, les formulations/réalisations des deux voies, verticales/horizontales, de Platon à Erigène ou de Boèce à Kant. Ce seront toujours celles du genre et de l’espèce, mais à travers de très nombreuses nominations : la forme et la matière, la figure et le mouvement, l’espace et le temps, le mâle et la femelle, l’effigie et l’alliage, etc. Partis de l’Or/substance au centre, il nous faudra traiter de divers Ors/symboles d’abord, de l’Or/valeur pour finir. Sur les douze ou treize siècles encore, dont les trois de chevauchement (Boèce/Erigène) :

Le chevauchement? Au cœur, au moyeu, le Graal n’est pas moins formel que matériel : on l’assemble ou le partage : la croix est dans le cercle, elle formule les triangles, les carrefours, les voies contraires. L’Or n’est pas moins matériel que formel : une pierre ou un bloc. La fable seule est sans principe, le principe sans affabulation, mais l’Objet divin des conteurs, ou l’algorithme universel de nos scientistes tiennent autant de l’un que l’autre.

Or, de fait, l’alchimie antique n’a tenu compte, pendant 2 siècles (de 300 à 500), que de cette matière et de cette forme. Pendant 400 ans (de 900 à 1300), l’alchimie médiévale n’a tenu compte de rien d’autre. Même si, pour la première, la Forme fut espoir et, pour la seconde, nostalgie. Ou à l’inverse, sous les noms autres de Figure et de Mouvement.

En ce chapitre, seule nous importera cette inversion des symétries.

L’Ouroboros — A l’arrivée (après Boèce) et au départ (avant Scot Erigène), le Cercle seul commande : le Serpent qui se mord la queue.

L’Agathodémon de Synésius, et peut-être du Harran, avant Etienne, l’Hermès cosmique des islamiques, puis des Byzantins, après lui. Les premiers le définissent comme le « bon daïmon » (de Socrate), les seconds comme l’Unus Mundus ou le Tout de l’Univers. Génie ou Généralité, il est le Coagulant ou l’Unificateur, de l’élément d’Eau toujours.

Mais, ici et là, le Feu le combat, comme le Lion le Serpent. Les adversaires de l’Agathodémon se nommeront Zosime, Olympiodor, Aeineias; ceux de l’Hermès se nommeront Michel Scot, Arnault de Villeneuve, Lulle (en Occident). Ces 6 noms éclairent les neuf siècles, du 4ème au 13ème. Ils nous donnent, à eux six, une définition parfaite de ce que furent la Forme et le Matière alors, mais par la double action de ce deux éléments seuls : le Feu et l’Eau.

Que l’Ouroboros soit une figure d’Eau et le demeure d’un bout à l’autre du processus, voilà qui n’est pas douteux. Tous ses adeptes honorent la voie humide de l’alchimie et rejettent ou nient la voie sèche. A tout le moins, la chaleur doit être constamment réduite ou contrôlée, car, par exemple, « à trop chauffer le cuivre, on le dissout ».

Le rêve de l’adepte est de réaliser une cohérence parfaite de la matière, une imprégnante continuité; or c’est l’Eau — ou du moins l’Humide — qui associe les éléments (les grains de sable), quand le Feu, ou la chaleur, ne peut que les dissocier, les séparer les uns des autres.

Le corps le plus chargé d’humidité domine ici : le Mercure, qui est un nom d’Hermès. Mais il s’agit du Trismégiste, le 3 fois maître, qui recouvre, zodiacalement, la trinité de l’Eau : Scorpion, Cancer, Poisson, ou le Pistis, le Toth et l’Ichtus : la compréhension/création, le savoir/cohérence, l’amour/charité.

 

L’Ouroboros — A l’arrivée (après Boèce) et au départ (avant Scot Erigène), le Cercle seul commande : le Serpent qui se mord la queue.

L’Agathodémon de Synésius, et peut-être du Harran, avant Etienne, l’Hermès cosmique des islamiques, puis des Byzantins, après lui. Les premiers le définissent comme le « bon daïmon » (de Socrate), les seconds comme l’Unus Mundus ou le Tout de l’Univers. Génie ou Généralité, il est le Coagulant ou l’Unificateur, de l’élément d’Eau toujours.

Mais, ici et là, le Feu le combat, comme le Lion le Serpent. Les adversaires de l’Agathodémon se nommeront Zosime, Olympiodor, Aeineias; ceux de l’Hermès se nommeront Michel Scot, Arnault de Villeneuve, Lulle (en Occident). Ces 6 noms éclairent les neuf siècles, du 4ème au 13ème. Ils nous donnent, à eux six, une définition parfaite de ce que furent la Forme et le Matière alors, mais par la double action de ce deux éléments seuls : le Feu et l’Eau.

Que l’Ouroboros soit une figure d’Eau et le demeure d’un bout à l’autre du processus, voilà qui n’est pas douteux. Tous ses adeptes honorent la voie humide de l’alchimie et rejettent ou nient la voie sèche. A tout le moins, la chaleur doit être constamment réduite ou contrôlée, car, par exemple, « à trop chauffer le cuivre, on le dissout ».

Le rêve de l’adepte est de réaliser une cohérence parfaite de la matière, une imprégnante continuité; or c’est l’Eau — ou du moins l’Humide — qui associe les éléments (les grains de sable), quand le Feu, ou la chaleur, ne peut que les dissocier, les séparer les uns des autres.

Le corps le plus chargé d’humidité domine ici : le Mercure, qui est un nom d’Hermès. Mais il s’agit du Trismégiste, le 3 fois maître, qui recouvre, zodiacalement, la trinité de l’Eau : Scorpion, Cancer, Poisson, ou le Pistis, le Toth et l’Ichtus : la compréhension/création, le savoir/cohérence, l’amour/charité.

Des 3, le plus important, sinon le plus durable (qu’il est aussi), se réfère au pistis, au basis des gnostiques, que l’ancienne Egypte nommait Khnoum, et la plus récente Chnoumis. Car le Scorpion est ce B ou ce P d’une part, en tant que d’Eau, ce K d’autre part, en tant que dieu du Beau ou démiurge.

S’il révèle sa nature d’Eau dans le christianisme (le Verbe), par le pistis, le basis, le dieu de la basilique, il fut, aux temps anciens, le générateur du Kamoutef ou d’Apis, les Taureaux (Mardouk en Mésopotamie) : le père, ou plutôt, la mère du créateur, dont la création l’engendre, comme l’œuvre d’art engendre la beauté.

Il suit que le triomphe du christianisme fait de l’Ouroboros, de l’Agathodémon, le « bon génie », un esprit du Bien. Sa loi est le secret de la table d’Emeraude, de la table d’Hermès : le Tout est Un, puisque l’Okéanos, le Grand Océan entoure le monde, comme la basilique contient tous les mystères de Dieu.

Par l’action de l’humide, le plomb devient le cuivre, le cuivre l’or. Toutes les diversités, tous les discontinus se fondront dans l’Unique, quand le Royaume sera là. Plutôt que le temps du Roi, ce Royaume est lui-même conçu comme une autre Terre Promise, un retour à l’Eden depuis longtemps disparu.

Cette nostalgie de l’Eden rénove le démiurge, le Créateur de Sumer ou de l’Ancienne Egypte, où Khnoum (Enki) ne fut pas un dieu bon mais un dieu conjugué aux déesses de Terre : la Grand-mère Damkina, et la Vierge Innina (plus tard : Ishtar).

Mais le Taureau ne fut pas de Terre sans être le dieu de l’Harmonie, du Beau, et comme tel lié aux autres constituants du Beau : l’Arbre, le Scorpion, le Soleil (Souverain). D’où, ces affirmations qui étonnent l’exégète incompétent : sur la pierre, « grave un serpent annelé dont la tête est une tête de lion, ornée de rayons. Porte-le pour prévenir les maux d’estomac, par excès de nourriture ». (Des pierres, de Denys).

Khnoum ou Chnoumis, démiurges, sont également des Ka, des pouvoirs d’harmonie, associés aux symboles souverains : le Soleil, le Lion.

Sur certaines figures, les rayons sont 7 et, sur d’autres 12. Les 7 planètes ou les 12 signes. C’est tout le choix du Triangle (le joint au sommet) ou du Cercle (le zodiaque). Car les deux serpents d’Hermès (le caducée) s’embrassent et s’enlacent pour atteindre l’Unique : l’embrassement suprême : Tous dans l’Un. Mais l’Ouroboros fait le cercle ou l’Okéanos : en l’Un est Tout.

En ce point précis : le milieu/centre et le milieu/entour, d’autres alchimistes prennent la relève.

 

L’Arkhé — Les alchimistes du Harran remontent à l’ancienne Mésopotamie (c’est là que le père d’Abraham s’est réfugié, venant d’Our).

Pendant deux mille ans ou plus, forgerons, ils ont honoré le Démiurge par le travail des métaux. La mort de Pan, du Minotaure (exclu des enseignes de Rome), de Kématef et d’Apis (changé en Sérapis) les a fait mépriser par Rome et par Byzance, plus qu’à demi disparaitre. Mais le renouveau de la Création, par le Coran, les a ressuscités : en Bagdad, les Abbassides succèdent aux Omeyyades, au 8ème siècle : là s’élève la première mosquée, construite sur l’exemple des ziggourats babyloniennes. La Vache Rousse de Mahomet recrée les composants tauriques, parmi lesquels le Ka ancien : le Croissant n’est pas le signe lunaire sans être les cornes de l’ancien dieu. Et, du Harran, renaît l’antique Ouroboros.

Mais, dans l’attente de ce renouveau (au 3ème, au 4ème siècle) et, de nouveau, contre l’Islam, à partir du 11ème siècle, d’autres alchimistes ont rejeté à la fois le Serpent et le Démiurge, l’Eau et la Terre. Ils se fondent sur l’Air et le Feu. Ils se nomment Aeineias (Enée) vers 450, Olympiodore, un peu plus tôt, Zosime, plus tôt encore. Ou bien, Michel Scot, Arnault de Villeneuve et Lulle, au 13ème siècle. Tous convertis, tous chrétiens.

Aeineias ne nous est connu que par quelques fragments, mais combien révélateurs! Une affirmation survit au désastre de son œuvre : la matière mue, elle se transforme et change, une statue d’Apollon peut être en cuivre, puis en or, par le processus de l’alchimie; mais c’est toujours Apollon. La forme, la figure, survit aux changes de la matière. Autrement dit : les disciples de l’Ouroboros, de la Terre-Eau, ont tort de croire en la permanence, la continuité de la matière : c’est la Forme qui se maintient et préserve l’acquis. La Forme est Une, quand les matières ne sont que diverses : le cuivre, l’argent, l’or.

Dès le début du 5ème siècle, Olympiodore l’a déjà dit, hors du raisonnement, par la fable. Il était vieux, déjà, en 415, quand, envoyé vers Attila, vers l’ouest, il enchantait le barbare.

Olympiodore n’invente guère (il est bien éloigné de croire en un démiurge). Pour l’essentiel, son œuvre recense — les croyances des anciens Grecs, les Eléates. Sa croix est celle des Eléments, et son propos de distinguer entre les croyances des uns ou des autres. L’un, montre-t-il, croyait dans la prééminence de l’Eau, un autre en celle de l’Air, mais la Terre — et son démiurge — fut peu honorée par les Philosophes (le Taureau déjà décadent, la Vierge morte). Olympiodore ne cite, avec mépris, qu’un Xénophon.

Il n’invente qu’un archétype, mais éloquent : l’Arkhé. Dieu de Feu, il fut l’Arès, puis le Centaure, celui qui tirait l’arc et ne ratait jamais la cible; en tant que tel, le Souverain, de Sumer et de la Bible, l’a honoré, car le Souverain ne peut se dispenser de viser juste. Cependant, l’Arkhé fut également, et depuis, l’allié du Christ (« Celui qui m’envoie ») et du dieu du Bien : l’Eros ou l’Arkhon des gnostiques. Dieu de Bien, en l’ère du Poisson, il doit s’associer aux entités de l’Eau, par l’Arche (la Nef), car la Forme conserve, protège et préserve, au-delà des matérialités.

Il n’est pas vrai, disent les alchimistes, que le Feu dévore seulement. C’est, au contraire, par la destruction du cuivre, sous l’effet de la chaleur, que l’oxyde de cuivre devient un élément de la forme éternelle : l’Or. Car, du vide naît une récurrence, un retour, qui ressuscite la Forme.

S’emparant de l’Ouroboros des islamiques, un Michel Scot, puis un Villeneuve, surtout, iront plus loin dans la démonstration. Arnault traitera toutes les figures matérielles (les Images) comme des expressions de symboles cachés (systématiques) : sous le visage humain, la cathédrale, le coq, le lion, il montrera les formes géométriques qui les constituent : le triangle, le carré, le pentagone.

Les images matérielles se modifient sans fin, mais leurs constituants, formels, demeurent immuables (comme les Arts en chaque Science de Boèce).

Dès le 11ème siècle, un évêque, Bérenger de Tours, qui peut-être ne songeait pas à l’alchimie, l’avait affirmé, renouvelant Erigène.

Les Espèces se modifient sans cesse de l’une à l’autre : la vigne dans le raisin, le raisin dans le vin, ou le blé en froment, le froment dans le pain, et pourquoi pas le sang dans le vin, le corps dans le pain, ou à l’inverse, quand le vin devient le Sang, le pain dans le Corps? Mais, hors de ces matières, une Forme subsiste, l’Essence, la Forme même, hors des figures.

La figure géométrique (la croix dans le cercle, essentiellement) redevient le support  de tous les changes de la matière. Ce qui était dehors : l’aspect, devient le dedans : la spécificité (de ce dieu-là). Et, bien sûr, à cette inversion de l’Espèce s’oppose une inversion du Genre, comme du gène intérieur à la généralité externe.

Les figures internes de Villeneuve ouvrent la porte à toutes les abstractions, à toutes les sciences : de la géométrie au rythme musical (de la longueur d’onde à la fréquence), du rythme au nombre arithmétique, du nombre aux figures du cosmos, que feront triompher Copernic et Kepler, au 16ème siècle. Tout peut être mesurable, puisque tout peut être figuré. Il y suffisait de faire de l’aspect matériel une spécialisation scientifique.

Il reste que les analogies d’Aeineias, d’Olympiodore, demeuraient des fables privées de leur contenu magique, bien qu’un homme, déjà, leur ait donné ce contenu : Zosime. Et que les démonstrations de Bérenger et de Villeneuve s’offraient comme des principes géométriques encore privés de leur scientisme, de leur systématique.

Un homme leur donnera le Système : Lulle.

Zosime n’a pas écrit avant le 4ème siècle (d’autres exégètes disent : avant le 3ème). De Zosime à Boèce, trois siècles s’écoulent, ou plus ou moins : ils sont emplis de cent abrégés que, hors de l’alchimie, nomment les Conciles chrétiens et les pseudo-Virgile, d’Arles ou de Toulouse. Lulle a écrit autour de 1300 (1296/1316), quatre siècles après Erigène, et d’autres abrégés y ont proliféré.

Il convient d’en dire quelques mots, rapidement.

Les machines mythologiques et septénaires — Du 4ème au 6ème siècle, les hommes écrivent peu. En ce qui concerne l’Occident (les royaumes barbares, des Goths, des Wisigoths, puis des Mérovingiens) seules survivent les œuvres des Virgile, de Flandre ou d’Occitanie. L’une des plus complètes est de Virgile de Toulouse : le démembrement des 12 en 144, 12 symboles en 12 symboles chacun.

Les Vierges sont 12, les symboles de l’Arkhé 12, les Souverains 12, les Serpents 12, etc. On dira que cela ne mène pas très loin. Mais comment traiter de la Vierge ou de l’Arkhé sans en avoir épelé tous les possibles? Ou des Sciences sans les avoir multipliées par 3, des Vertus sans les avoir multipliées par 4? Comment dire les changes de l’Arme, de la lance aux ciseaux sans dire les changes de la Table, ceux de la Coupe, ceux de l’Arche? Dérisoires, les abrégés de ces Virgile furent indispensables au passage de Zosime au Chrétien, par l’Arkhé. Car il est vrai que les changes de la matière, comme du plomb à l’or, ne cessent de remettre en cause l’Objet divin, dont seule demeure intacte la forme projective. Au contraire, de l’Anonyme à Lulle, nous ne trouvons plus de tels abrégés, car l’Arkhé ne cesse de s’y partager en arché-types, qu’aucun ensemble n’associe plus. En Orient comme en Occident — et sans doute plus qu’en Bretagne — les archétypes se présentent séparés : l’Hindouiste et le Templier honorent avant tout les Gémeaux, les Açvins ou Oiseaux jumeaux dans l’Inde, les Frères sur un seul cheval dans l’Ordre des moines chevaliers. Le Juif (Juda Halévy) a proclamé d’abord la prééminence de l’Archer, du Sagittaire, maître dans la Kabbale ainsi que dans l’Evangile, et que l’Arabe et l’Omeyyade ne rejettent pas. L’ouroboros subsiste, par l’Alchimie arabe et par la scolastique chrétienne, que fonde la Table d’Hermès. La Vierge anime d’abord les saintes et les mystiques : Hildegarde, Brigitte, Angèle de Foligno, la Grande Catherine, mais celle-ci hait le « Scorpion d’Or » quand Angèle adore le dieu des Ténèbres. Hildegarde craint par-dessus tout le Bélier juif et sa justice (dont elle sait que, dans neuf siècles, ils auront institué le nouveau matérialisme, le nouvel Age sans dieu); mais les dominicaines, fidèles à Dominique, et les sorcières dans leur lande ne pourront concevoir une Sagesse dénuée de justification, leur Vierge sera lunaire, leur compréhension connaissance.

Le Roi mort, même, cent princes vont tenter de le restaurer, les Angevins au premier chef, jusqu’à Londres ou à Palerme, puis les Germaniques, les Slaves, les Bohémiens.

Cet éparpillement eut pour but de préserver la puissance des Gémeaux, sous leur forme — spartiate ou indienne — de svastika : l’inimitable Imitation dialecticienne de Boèce. La Croix aussi — de sang — qui orne les écussons des Chevaliers, teutoniques, templiers, tout au long des croisades…

Mais cette Croix n’est plus celle de Galaad; symbole du combat, du PAT, non plus du PAN, du carrefour. Les archétypes ne sont plus positionnés (dans le zodiaque d’un Boèce, d’un Erigène), car le Joint n’existe plus entre les feuilles, et le Principe exact — de la Science — ne s’est pas formulé encore.

En ce double vertige, des Virgile ou des scolastiques, l’Ouroboros ne peut disparaitre, mais la Croix s’y volatilise. En place des 12, ridiculisés, ou bien impuissants, le nombre impair domine — ou déjà, ou encore : les 3 du triangle, le 5 du pentacle, le 7 en poursuivant.

Chaque nombre porte sa tradition. Le 3 celle de la Trinité, des Arts ou des Vertus. Le pentacle renouvelle — éternise — celui de Salomon, 2 160 ans plus tôt. Le 7 recompose en des synthèses sans faille :

a) les 7 métaux, planètes, couleurs et notes des Antiques,

b) les 7 Vallées du musulman Attar (dans Le Colloque des Oiseaux) ou les 7 Paraboles de l’Aurora consurgens, deux œuvres du 13ème siècle.

Une magie scientifique ou une Science magique est derrière les deux tentatives : celle d’Aristote, qui démontra que le plus petit est comme le plus grand : la base d’un triangle de 7 coudées est égale à celle de 5, de 3 coudées. Car, si, du sommet du triangle, j’abaisse une infinité d’obliques (bissectrices ou diagonales), elles coupent toutes les bases en autant de points : il y a donc autant de points dans la plus petite base que dans la plus grande.

Aristote fut le maître du Savoir, l’homme-serpent; mais il donnait l’Arkhé, l’architecte, pour son maître à lui : Apollon Lycéen, et son Ecole portait ce nom : le Lycée. Il faudra Valéry (au 20ème siècle), pour rêver d’une pareille synthèse, entre l’Architecte et le Musicien, un hermétique Arkhé.

Comment les Septénaires y sont-ils parvenus?

En faisant de l’Un ou de l’Objet divin un être double et central : une unité totalisante et motivante, à laquelle tendent toutes les parties de l’ensemble : Um; une unité causale, un joint, articulaire de tous les principes et de toutes les sciences, comme 1 se retrouve en toutes les séries de nombres, naturels ou imaginaires, l’Ua.

Centrale, les Septénaires donnent à l’unité double les phases 3 et 4 (paraboles ou vallées). Ici, celui qui croit qu’il monte, qu’il édifie, descend ou tombe (de la perception à la conception); celui qui croit tomber et succomber s’élève, par la Foi.

Tel est le Temps de Dieu, le monde Un, ou bien l’Objet de Perceval, d’Etienne : l’univers même du chevauchement.

Par suite, le chemin de l’est vers l’ouest, la fable, se présente comme une question d’abord : où vais-je? Puis, comme un Quiproquo, qu’impose le désir (d’aller ici ou là, au hasard des couleurs et de leurs tentations). Ce sont la 1ère et la 2ème, vallée ou parabole.

A l’inverse, le chemin de l’ouest vers l’est, le principe, se présente comme une série de jonctions, plus ou moins illusoires, dans l’assurance de l’Idole, en 5, puis dans l’extinction, le partage absolu, la dissolution en 6 (la Stupeur d’Attar, l’anéantissement de l’Aurora).

La 7ème vallée ou 7ème parabole est, au contraire de l’Un et de son chevauchement, une Forme Pure et Vide : le cycle lui-même, en son recommencement.

Si l’Unité Même est le dieu lui-même : de Terre et du Beau, le Créateur, de Feu et du Vrai, le Justicier, d’Eau et du Bien, l’Ichtus ou le Bouddha de Charité, les 5 autres seront :

la mort d’une entité en 7, le Souffle à Sumer, la Vierge pour les Hébreux, le Souverain au 7ème siècle;

le passage d’un mythe à l’autre en 1 et 2, comme de la Terre Première à l’Arche, dans le Bélier, ou comme de l’Arkhon à l’Hermès-Sophia dans le Poisson;

le passage inverse en 5 et 6, comme de l’Eden taurique à la fin du Taureau (le Bélier), ou comme de l’apogée bélique (l’Arche) à la fin du Bélier : le Poisson. Mais aussi le passage du Souverain léonin à l’Ouroboros hermétique, puis d’Hermès aux Gémeaux. Car l’enfance du Bélier fut l’agonie de la Vierge, son âge Kali, l’enfance du Poisson fut l’agonie du Lion souverain. L’enfance du Verseau, de l’Esprit, du Paraclet sera l’agonie, dans le millénaire, de l’antique Hermès ou Toth.

Par les métaux ou les couleurs, les 7 planètes, les Antiques entendirent le démontrer. C’est par les 7 planètes aussi, mais les 7 notes de l’Harmonie, les 7 vallées/paraboles que les Médiévaux entendent le démontrer.

Cette démonstration ne se fait plus dans le Cercle et par la Croix, mais par l’analemme des deux ellipses, ou les deux serpents qui s’enlacent, sinon les deux triangles qui se succèdent. L’analemme apparait dès le 8ème siècle, dans les églises romanes, certains disent au 9ème siècle seulement (le temps d’Erigène); les triangles premiers sont l’œuvre de Villeneuve, au 13ème siècle. Dans ces quatre siècles (8ème – 12ème), il ne sera question que du Cercle et de la Croix.

La Figure et le Mouvement — Notre étude est trop courte (de la Forme et de la Matière). C’est qu’elle se limite à l’Espace, au continu et au discontinu dans le contenu et le contenant. Si le contenant est le Cercle (l’Ouroboros), le contenu est une Croix, sa partition : les Cardinaux, les Eléments, les Sciences ou les Jeux.

Hermès contient Arkhé.

Si le contenu est triangulaire, son contenant est un ensemble mouvant, un analemme, un caducée, car les droites du triangle ne sont que des simplifications des courbes elliptiques, qu’il s’agisse des Arts ou des Vertus, des Personnes ou des Jugements.

Mais, ni de la forme ni de la matière, je ne peux faire à coup sûr un contenant discontinu (l’aspect) ou une contenu continu (la spécificité), ni un contenu discontinu (les parties de la totalité) ou un contenant continu (la généralité principielle).

Deux autres notions s’imposent : la Figure, en sa localisation (qui peut être une matière, en sa masse), le Mouvement, en sa charge (qui peut être de l’énergie, de la spiritualité pure).

La figure est rarement une matière : il y faut l’infinie fragmentation des archétypes ou des quanta. Le mouvement est rarement formel : il y faut l’astuce d’Aeineias, ou celle des 4 Cordes de la physique moderne. Mais, à la limite, au seuil, cela peut être ou se faire. Il n’est pas possible, sans délit (le délit des mythomanes) de ramener une figure à la Forme, ni de reconduire le mouvement à la Substance (le délit des scientistes).

Mais le temps de Dieu s’achève totalement, vers 1300, ou bien il n’a pas commencé (vers 400) assez nettement pour seulement le construire.

Dans l’univers entier, notre univers, il n’est plus que des mythomanes ou des scientistes. De la pierre, les mythomanes (gréco-romains) ne voient que les faces apparentes, leur délit; du bloc d’ardoises ou de paillettes, les scientistes ne considèrent que le joint inévitable, l’autre délit, principiel.

Les mythomanes sont les générations qui précédèrent Gauvain; les scientistes sont les descendants, les utilisateurs, les vestiges de Galaad; à la limite de la Promesse (en deçà) les uns, à la limite de la Réponse (au-delà) les autres. Ils ont donc précédé les Quêtes : Zosime, ou suivi leurs ultimes lectures : Lulle. Qu’en était-il avant 432 ou après 1296? D’autres symboles de l’Or, en deçà ou au-delà du Graal.

Jean-Charles Pichon

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