LES PRECIS RIDICULES – Conclusion –

Conclusion

De la portée du principe

et de l’importance des drapeaux

 

I

LE SEPTICISME

L’une des naïvetés les plus constantes de l’humanité est d’opposer le fanatisme à la vérité. Si Jésus reproche à l’intransigeance des prêtres le supplice et la mort de tous les prophètes ou si l’on charge encore le fanatisme romain de la mort de Bruno, du supplice de Vanini, de l’emprisonnement de Campanella ou  de Galilée, ce sera tout à l’inverse le fanatisme laïque ou révolutionnaire qu’on jugera responsable des morts de Lavoisier, Chénier ou Kammerer.

Cela est exact, sans doute : le fanatique se pose en juge, il ne sait que condamner. Du moins reconnaît-il celui qu’il envoie à l’échafaud ou au goulag : il tue mais ne triche pas. C’est-à-dire que, loin de se présenter comme l’adversaire de la « vérité », le fanatisme s’affirme comme son abus.

Le sceptique est tout bon, tout humain. Il n’aime pas se rougir les mains : il lui suffit de calomnier, ou de réduire (les têtes, à l’occasion). A la limite, il se réduit lui-même.

Je me rappelle mon étonnement et mon scandale en découvrant, il y a trente ans, que l’excellent présentateur de la Queste cistercienne du Graal, Albert Béguin, avait tout bonnement supprimé du texte – comme sans intérêt – tous les symboles astrologiques : le Taureau, les Gémeaux, qui sont l’une des clés de l’œuvre.

De telles auto-censures ont cessé de me surprendre. Pour ne traiter que des huit précis, il n’est pas un de leurs commentateurs, parmi les plus honnêtes, qui ne s’en soit rendu coupable.

Le traducteur catholique de la Bible, Crampion, affirme que l’expression « la trentième année » n’a pas de sens, alors qu’il interprète correctement les « cinquième », « sixième », « douzième », « vingt-cinquième année » (parce qu’il lui faudrait reconnaître que la Vision n’est pas seulement une sorte de prélude poétique mais qu’elle recouvre l’œuvre et la vie du prophète).

Quant aux « 390 années » d’Ezéchiel, elles se transforment en « 190 années » dans la plupart des traductions.

Ni Diogène Laërce[1], ni Karl Jaspers[2], à plus de seize siècles d’intervalle, ne disent le moindre mot du nombre nuptial, des nombres cosmologiques et des nombres ludiques de Platon, bien qu’ils soient certainement parmi les bons experts du monde platonicien.

Dans l’édition française (Gallimard) du « Classique du vide parfait », une bonne vingtaine de chapitres ont été déplacés d’une partie à l’autre, dénaturant l’unité même – dans la diversité – d’un ouvrage conçu comme une partie de Ma Jong, par défaut d’en avoir perçu la cohérence.

Il n’est guère qu’un présentateur des grandes doctrines alchimiques : Lucien Gérardin, pour montrer la bonne foi, je dirai : instinctive, de ne pas en omettre; et le meilleur exégète peut-être de l’œuvre de Nuysement, le pasteur Schmidt, offre le poème central des Visions sans dire qu’il concerne le Verseau.

Aucun commentateur ne donne les douze catégories de Kant sans ce sourire d’ironie qui fait que le lecteur tourne vite la page. Le merveilleux Carrouges lui-même traite des Machines Célibataires comme si elles ne comportaient aucune numération, et du Locus Solus comme s’il n’était pas, d’abord, une promenade aux sens précisément notés.

L’ouvrage de Jung n’est pas encore publié en langue française que ceux qui en répandent le texte polycopié en ont ôté le chapitre sur l’astrologie, sous le prétexte que l’auteur en eût avoué l’insuffisance.

Ce qui est recherché ici et là, par la censure de l’astrologie ou des signes, des sens ou des numérations, ce n’est pas la condamnation du précis, en son originalité, puisque Béguin, Crampion, Benedykt Grynpas, Laërce, Jaspers, Carrouges se donnent pour des admirateurs de l’œuvre qu’ils traduisent ou commentent, et qu’ils le sont évidemment. C’est la censure, la suppression de ce qui fait la communauté de ces œuvres :

le principe que chacune d’elles, par ses méthodes propres, réaffirme et démontre.

Si le sympathisant peut agir de la sorte, on imagine la mauvaise foi de l’adversaire. Pour nier le principe commun, tous les moyens seront bons, et tous les arguments seront utilisés.

Si je suggère que les Précis œuvrent dans le même sens et ne construisent en fait qu’un unique appareil, le sceptique me répondra que c’est bien sûr : leurs auteurs n’ont rien fait que copier l’un sur l’autre : Nuysement sur Ezéchiel, Kant sur Platon, Jung sur les taoïstes et Jarry, peut-on croire, sur la Kosmopoiia.

Si je démontre alors qu’aucun de ces appareils ne peut être un plagiat (par la diversité des problèmes en question et des méthodes utilisées), le sceptique triomphera : certainement, ce ne sont là que fantaisies sans fondement et seul un chimérique peut y rechercher l’ombre d’une clé universelle.

Essayons cependant d’épouser en effet un point de vue après l’autre.

Les huit et les autres

Que Nuysement ait lu Ezéchiel ou Kant ait étudié Platon, cela n’est pas discutable. Il se peut même que Jarry ait connu la Kosmopoiia de Leyde, découverte à Thèbes à la fin du siècle dernier.

Mais j’ai eu la Kosmopoiia, la République et le livre d’Ezéchiel plus de vingt ans en ma possession sans y déceler l’Appareil. Combien lisent et relisent la Bible, Platon et Kant sans y soupçonner même de tels appareillages?

Le scepticisme est ici un barrage suffisant.

Au reste, la connaissance du précis antérieur et prétendu modèle n’est que rarement démontrée. Jung ne cite aucun des huit parmi ses grands prédécesseurs, qu’il recense pourtant abondamment. Ni Poe ni Villiers de l’Isle-Adam, entre autres, ne pouvaient connaître le texte hermétique, qui n’était pas retrouvé de leur temps.

Mais, surtout, il est impossible que Nuysement, Kant, Jung et Jarry, pour ne parler que des auteurs les moins anciens, aient pu rapprocher des modèles qui ne s’éclairent que l’un par l’autre. Solitairement, chaque œuvre n’est qu’un jeu, à ce point liée aux modes et croyances de l’époque qu’elle semble inutilisable en d’autres temps.

Elle ne le semble pas : elle l’est.

Hors de l’ésotérisme des tribus, le Livre d’Ezéchiel est illisible; hors des tables de Pythagore, Platon; hors du contexte chinois du 3ème siècle avant notre ère, Lie tseu; hors de l’hermétisme, la Kosmopoiia; hors de l’ésotérisme de l’alchimie, Nuysement.

Cette modernité exclut le plagiat : elle explique la diversité, des problèmes posés d’abord, puis des solutions proposées.

Dira-t-on que, dans ce cas, les précis ont copié la science de leur époque? Cela est vrai et faux à la fois. Je l’ai suggéré, trop hâtivement, par l’étude des nombres de Faustroll. J’en donnerai d’autres exemples, tirés de la mathématique moderne.

Soit les seuils ésotériques : 0, 1/2, 1, 7/5,  – 12/7, 2, connus de la plus haute antiquité (ils correspondent aux 4 points cardinaux et, pour le 5ème, au principe d’inversion, appliqué à Sumer) :

a) Depuis Taylor, puis Euler, les séries convergentes sont le scandale, puis l’amusement des mathématiciens, la plus usuelle étant la série népérienne, dont la sommation est : e = 2,718.

L’une aura pour limite, à l’infini, √2 ou 7/5; une autre, e – 1 ou 12/7.

b) La série

a pour limite a quand q tend vers 0 et 0 quand q égale 1.

c) Pendant une grande partie de sa vie, Henri Poincaré a cherché à créer une série convergente dont la « somme » serait 2. Ce furent les fonctions fuchsiennes, du type :

L’une de ces séries est :

5/3  7/4  9/5  11/6  13/7  15/8, etc.,

qui, à l’infini, n’atteint jamais 2.

d) A l’inverse, la série orbitale, utilisée dans le tableau périodique des éléments chimiques, 2n² a pour limite 2 quand n = 1.

e) Enfin, la fonction a/x = b/(x – a) est semi-convergente autour de 1/2. Pour x constant, b croît de a/x = 0 à a/x = 1/2, et décroît de a/x = 1/2 à a/x = 1.

Si bien que la machine célibataire la plus complexe, de Roussel ou de Jarry, peut être formulée par de telles fonctions ou séries, à l’exclusion de tout autre symbole :

Mais :

1) hors des grandes machines célibataires, aucun autre appareil, ésotérique ou non, ne présente une synthèse aussi parfaite des séries convergentes ou semi-convergentes;

2) il y a deux mille ans déjà, les précis de Platon, de Lie tseu et de la Kosmopoiia en contenaient plus que l’ébauche.

C’est ce qu’un sceptique ne peut concevoir. Car il nié, dès le départ, l’universalité de la clé, dans laquelle il ne voit qu’un jeu.

Le jeu est évident : 12,54 (corrigé en 12,56 par l’affinement de π). Mais quel nombre scientifique procède d’une quête moins ludique?

Honnête comme seuls les plus grands le sont, Max Planck reconnaissait en 1930 que « la clairvoyance idéale du savant… provient uniquement de ce que le monde de la physique n’est rien d’autre qu’une image du monde réel créée par l’esprit humain ». Il savait de quoi il parlait. Sa célèbre constante (6,6 à l’origine), devenue la clé de l’univers quantique, n’est rien que la surface de la sphère dont le rayon est le nombre de Platon divisée par la vitesse de la lumière.

Affiné par le calcul de π, le nombre de Platon 4π égale 12,566 36…

La surface de la sphère est donnée par : 4πR².

En donnant à R la valeur de 4π :

S = 4π X (4π)²

(4π)³

1985,82

Mais la vitesse de la lumière n’est elle-même que le rapport entre l’unité absolue (électromagnétique) et l’unité C.G.S. Au temps de Planck :

[3]

Loin que l’ésotérisme puise à pleines mains dans le vaste arsenal scientifique, n’est-ce pas généralement l’inverse?

 

II

DES MODELES D’UNIVERS

Au prix de n’importe quelle censure le sceptique réfute l’immutabilité du principe. Au prix de n’importe quelle confusion le fanatique nie la diversité des modèles. Ainsi voit-on le second exclure l’ésotérisme avec autant de violence que le premier, mais pour des motifs différents.

De l’unicité qui fonde les précis l’agnostique fait une illusion; de la diversité qui les exprime, le fanatique, ou politique ou religieux, fait l’œuvre du Mal, déviationnisme, aliénation ou, à la limite, satanisme. A cette confusion le meilleur esprit succombe : Guénon affirme que l’ésotériste inverse la voie droite, divine, pour livrer le monde à Satan. Pascal redoute un dieu futur qui ne serait plus Jésus-Christ.

Même cette crainte, pourtant, avoue que le Nouveau peut être un autre, comme la censure du sceptique prouve que l’hypothèse d’un Principe n’est pas si ridicule qu’il le prétend.

L’étrange est ici que tous deux, le sceptique et le fanatique, pourraient admettre la validité de l’ésotérisme : pour la diversité de ses figures le premier, pour la permanence de ses clés le second. Mais, évidemment, c’est ce qu’ils ne font pas. Car l’unicité de la clé suffit à condamner le scepticisme, comme la diversité des signes condamne la croyance exclusive en ce dieu-là.

En notre époque, tous deux nient donc l’attente du Verseau, de l’Esprit Libre ou du Dispensateur, ainsi que tous les systèmes qui le montrent advenant. Voltaire ne veut pas que l’avenir soit encore religieux et Madelin ne veut pas d’un autre dieu que l’Ancien, parlant le premier comme Ephémère et le second comme le Zélote. Or, nos problèmes particuliers, liés aux questions que nous posons, ne sont plus ceux de l’Hellénistique, bien qu’une même corruption y ait mené jadis et y mène aujourd’hui; les « drapeaux » sont différents en des époques différentes (les « natures » autres), bien qu’un même souffle ou une même loi déchirent celui-là et celui-ci.

J’ai montré comment les précis anciens – d’Ezéchiel à Bolos – d’une part, et les précis modernes de l’autre jouent des mêmes rythmes et des mêmes nombres, que ne contredisent ni les grandes traditions ni les recherches scientifiques les plus particulières. Mais j’ai aussi montré, tout au long de cet ouvrage, comment une figure chasse l’autre, modifiant à chaque fois le problème posé.

Au Benjamin d’Ezéchiel, à l’Eros de Platon et à l’Arc de Lie tseu le SAGITTAIRE toujours, dieu de la volonté, de la direction, du nombre, a succédé, d’une ère à l’autre, le Ténébreux, le SCORPIONNAIRE, l’Archétypus de Nuysement, de Kant et de Jung, dieu du subconscient ou de l’inconscient, l’ancien Basis des basiliques ou l’ancien Pistis des gnostiques, qui furent le Ruben des tribus.

Au drame antique : la mort de la Vierge, a succédé la mort du Souverain, du Lion, du Roi; et, à la fin de la préservation terrestre, la fin de l’harmonie objective.

Au renouveau, grec ou juif, puis chaldéen et rationalisé, de l’Hermès (notre Cancer), a succédé le renouveau, islamique ou chrétien, puis juif et rationalisé, de l’Observance, de l’objectivité, de la norme et du semblable (les Gémeaux), etc.

Si la même tragédie se joue par-delà les deux millénaires, les acteurs en sont différents, ainsi que le théâtre et le public. De sorte que Jung n’a pu répéter Lie tseu, qui ne connaissait pas la psychanalyse, ni Jarry Bolos, qui ne connaissait pas le contingentement. L’attente de la Libération ne conditionne pas l’esprit humain comme le fit l’attente de la Charité.

Illustration Pierre-Jean Debenat

La partie d’échecs

Un bon joueur d’échecs dispose, en chaque partie, d’une possibilité presque illimitée de coups, caractérisés chacun par une figure différente. Mais, d’une partie à l’autre, les règles demeurent les mêmes : le cavalier ne se meut pas comme la tour, ni la reine comme le fou; puis, les coups eux-mêmes ne sont pas permis à n’importe quel moment ou en toutes les figures : en début de partie le pion peut avancer de deux cases, le roque exige que le roi ne se soit pas encore déplacé, etc.

On peut considérer les huit comme cet excellent joueur d’échecs. Ils connaissent les règles ou les ont retrouvées : par exemple, l’inversion du temps à 7/5 ou √2 ou 1,44 (4 figures sur 7 dans la durée). Si bien que le retournement d’Ezéchiel, du côté gauche au côté droit) (I, 44, ss.) n’est pas autre que la précession de Platon ou le renversement après le 4ème rire dans la Kosmopoiia, après le 4ème coureur dans le Surmâle, etc. Si Ezéchiel donne le nombre 390, Platon donne le nombre 354 et Jarry, sensiblement le nombre : 1,71 – 1,44 = 0,27, c’est-à-dire 356,20 si l’Unité est 1 260, comme chez Platon.

De telles règles seront valables non seulement pour ce coup (l’ère du Poisson ou l’ère du Verseau) dans cette partie-là, d’unité 1 260 et de durée 900, mais elles régiront tous les coups de la partie.

Elles régissent non seulement tous les coups de la partie, mais toutes les parties, que l’Unité en soit 1 260 ou l’Unité d’un homme, d’un isotope, du globe terrestre, du cycle des taches solaires, de l’histoire des tribus, de l’histoire de l’alchimie, de ce dieu-là : le Taureau, le Justicier, l’Amour, ou de la moindre pensée, depuis le début de son élaboration jusqu’à l’ultime formulation de son résidu : le scandale du sceptique.

Or, si les probabilités de figuration sont des plus restreintes dans un coup (dépendantes des positions des pièces, planètes, astres, archétypes), elles sont très nombreuses dans une partie (cette Unité-là) et apparemment sans limite dans l’ensemble – lui-même indéfini – des parties imaginables.

Apparemment : car il n’est pas d’ensemble qui ne figure une totalité, il n’est pas d’infini mathématique qui ne se borne à une limite, comme la série logarithmique à e (2,718).

Il est bien clair, dès lors, que je pourrais multiplier les appareils au-delà des huit, adjoignant aux visions d’Ezéchiel et de Nuysement celles de Catherine de Sienne ou de Dante, aux calculs de Platon et de Kant ceux de Djabir ou de Lulle, aux interrogations de Lie tseu ou de Jung celles d’Imouthès ou d’Empédocle, aux délires de la Kosmopoiia ou de Jarry ceux d’Homère ou de Tanchelm, de Zénon ou de Rimbaud (« les fleuves impassibles ») sans quitter l’Appareil, dont je modifierais seulement les figures toujours exactes si leur localisation l’est.

Le scandale de notre 20ème siècle : la réitération du cycle est une bien petite merveille auprès de celle-là! Dont la rigueur presque maniaque n’a pour égal que la démente disparité!

Après avoir cherché dans le « principe » dynamique la preuve de la pérennité de la Clé, est-ce donc de la variété sans nombre des figures que je peux l’extraire? Du moins devrai-je ici abandonner le sérieux de la quête scientiste pour l’étrange liberté inassouvie du joueur.

Le collier de Tabî

Il s’explique très bien qu’on ne puisse, sans abus de sens, faire coïncider ensemble les quadrilogies et les trilogies de nos huit appareils : ni les 4 de Kant ne sont les 4 de Platon, ni les 7 ludions de Roussel les 7 rires de la Kosmopoiia.

Il s’explique aussi bien que, d’une manière ou de l’autre, les huit se réfèrent à l’astrologie, soit ouvertement : Platon et Lie tseu à la Grande Année, Jung et Roussel aux Signes, soit occultement, par le sens caché des 12 tribus ou des Opérations de l’alchimie (les 12 de Bacon, de Villeneuve, de Lulle, de Valentin, d’Evola). Seul, Kant s’y refuse, bien qu’il avoue l’émoi où le plonge la contemplation du ciel.

Car les 12 Signes sont le seul lien, la langue commune, qui se trouve aux huit vocabulaires, et c’est par leur truchement que peuvent se correspondre non seulement les 12 tribus, les 12 pierres précieuses, les 12 opérations et les 12 archétypes, mais aussi les 4 X 3 de Platon, de Lie tseu et de Kant, et, parmi les 12, les 7 (4 + 3), matières, rires, coureurs, morts, ludions, couleurs ou planètes.

Langue universelle, que parlèrent également le Grec et le Chinois, le Juif et l’Allemand… Langue, sinon éternelle, du moins assez durable pour que, sur 2500 ans, Jung et Roussel s’en servent pour répondre à Ezéchiel… Mais 4 000, plutôt que deux millénaires et demi, se trouvent ici contenus, si j’en crois le collier de Tabî et la chaîne de Marcel Pagnol.

On ne sait quelle date donner au premier. Il fut trouvé dans les ruines de la plus ancienne Babylone, dont la fondation remonte à 1860 avant notre ère, et le nom entier de l’auteur : Tabî – outoul – Enlil le situe au temps où tous les peuples rendaient un culte au dieu du Souffle : Elohim, El, Enlil, Amon, aux alentours de 2000 avant Jésus-Christ.

Après une vie longue et de nombreuses épreuves, le prophète a connu la mort, qu’il symbolise par son exil hors de la Cité. Son salut, il l’a mérité en traversant les 12 portes, dont la 11ème est comme la 3ème et la 12ème comme la 1ère :

d’Abondance, de Protection, de Paix, de Vie, du Soleil Levant, des Prodiges, de la fin des Malédictions,

des Questions permises, de la fin des Plaintes, de la Purification, de la Paix et de la Surabondance.

De la 1ère à la 12ème, l’homme est parti de la Cité, puis il y est revenu, après avoir vaincu la mort.

Le cercle, ici, se présente comme un collier ou comme une fleur dont les pétales s’effeuilleraient l’un après l’autre[4].

Quatre mille ans plus tard, il faut reconnaître le même enchaînement d’effets sans cause dans un dessin de Marcel Pagnol, qui passa les dernières années de sa vie en de tels calculs fabuleux. J’ai tenu d’un ami marseillais ce schème du sentimental humoriste, sérieux jusqu’au délire quand il parlait de cette œuvre-là.

Elle se présentait comme un entrelacement de 12 anneaux porteurs de nombres, dont aucun ne se référait à l’Ere précessionnelle ou à la Grande Année.

D’après une copie que j’en ai prise :

On voit que les nombres ne sont pas n’importe quels et qu’une architecture interne les lie : 360 + 360 = 720; 720 + 360 = 1 080; 540 + 720 = 1 260. Mais leur progression dans des cercles semblables me demeura inintelligible aussi longtemps que je n’eus pas saisi le sens de deux cercles de Platon, dont l’un s’inscrit dans l’autre de 360 années sur 1 260 et tels que leurs diamètres présentent le rapport 1 260/900.

Le dessin n’est compréhensible que si ses calculs s’établissent à trois niveaux (et non sur deux plans) :

On y reconnaît l’essentiel des 3 figures de Platon ou de Kant, ainsi que les calculs de la Kosmopoiia d’une part, de Jarry et de Roussel de l’autre. Par exemple, du Locus Solus :

recouvrant à la fois les 27 de la Kosmopoiia ET DE Jarry d’une part, les 22 de la Kabbale et des Jardins mayas de l’autre[5], mais surtout les 12 X 180, triplés en 36, grâce auxquels même l’absence d’une formulation commune n’interdit pas le recensement et la correspondance des problèmes successifs que s’est posés l’humanité, soit d’Ezéchiel à Bolos, soit de Nuysement jusqu’à nous. Ce n’est pas dire qu’ils sont pour autant résolus.

La remise en question

Si différentes qu’elles soient, les questions, en effet, réduites à leurs facteurs, s’inscrivent dans un seul schème, aisément reconnaissable.

Il n’est cependant pas question de se représenter cette succession de facteurs ou d’entités comme un progrès quelconque (intellectuel, moral ou esthétique) de l’humanité.

Considérons les trois dialectiques successives :

A : le positif et le négatif, dans les tribus.

problème : comment l’accroissement (+) et la décroissance (-) sont-ils liés à l’association et à la dissociation?

réponse : le Même (ou l’humide) associe et l’Autre (ou le sec) dissocie; le Chaud développe et le Froid réduit. Les 4 qualités reconduisent aux 4 Eléments.

B : le semblable et le contraire, dans la polarité.

problème : quel rapport existe-t-il entre l’approche (ou associabilité, affinité, sympathie) et l’éloignement (ou dissociabilité) d’une part, le semblable et le contraire de l’autre?

réponse : les semblables se repoussent et les contraires s’attirent, mais la chose contraire et la même chose sont toutes deux afférentes, c’est-à-dire polarisées; la chose même et le différent (ni semblable ni contraire) sont des indifférents, hors de la polarité.

Par exemple, si la Forme et la Substance sont naturellement afférentes, l’apparence (la forme sans la substance) et la matière (la substance sans la forme) ne le sont aucunement, si bien qu’on ne peut juger de celle-ci d’après celle-là.

D : le peuplement et le dépeuplement, dans la probabilité.

problème : quel rapport existe-t-il entre le peuplement et le dépeuplement d’une part et, d’autre part, les indéterminations d’incohérence ou d’indiscernabilité?

réponse : le dépeuplement tend à la discernabilité et à l’incohérence (par multiplication des mouvements ou accroissement de l’espace), comme on le voit par l’action du chaud; le peuplement tend à la cohérence et à l’indiscernabilité, par réduction de l’espace et des mouvements, comme on le voit par l’action du froid. Ici, la quadrilogie nouvelle n’est pas immédiatement perçue, mais c’est qu’il manque une phase entre B et D.

En effet, en D se retrouvent tous les facteurs de A : positif/négatif ou augmentation/réduction; association/dissociation ou peuplement/dépeuplement. Et s’y adjoignent les deux facteurs de cohérence des mouvements et de discernabilité des positions.

Mais les facteurs d’éloignement et d’approche ont disparu de B à D. Leur replacement ou remplacement nécessite un stade C, mal défini encore à l’heure actuelle.

C : l’espace et le temps.

problème : quel rapport existe-t-il entre le peuplement et le dépeuplement d’une part, l’éloignement et l’approche de l’autre?

réponse : dans l’espace, l’éloignement peuple, par réduction des volumes ou des surfaces, et l’approche dépeuple, par l’accroissement inverse;

dans le temps, l’éloignement dépeuple, par accroissement des phases et l’approche peuple, par leur réduction. C’est ainsi que l’année dernière ne me paraît pas plus peuplée que le mois dernier, ni celui-ci que la journée d’hier[6]. On pourra jouer de la quadrilogie : espace/temps, causalité/a-causalité ou, comme Mahomet, du visible et de l’invisible (discernabilité/indiscernabilité), du premier-dernier, dans le sens causal, et du dernier-premier à l’inverse.

Si, maintenant, je me réfère aux notions-clés de ce temps : la position et le mouvement d’une part, la motivation (causale) et le motif (a-causal) de l’autre, je révèlerai un cinquième dilemme, désormais primordial en physique quantique comme en sociologie : le système désordonné et le système ordonné, l’ordre et le désordre.

E : l’ordre et le désordre.

problème : quel est le rapport entre la position (sa discernabilité) et le mouvement (sa cohérence), d’une part, la motivation et le motif de l’autre?

Il se remarque aisément que la figure motive ou le drapeau se renouvelle dans l’espace, par la réitération, et s’y transforme par l’approximation ou la brisure (le bris du fractal); puis que la motivation principielle entraîne dans le temps soit la périodicité soit son inverse, la précession.

Les 4 seront donc le drapeau et le principe d’une part; l’espace et le temps différemment, le désordre et l’ordre de l’autre :

En conséquence de ce tableau, le rythme – ou le principe – se renouvelle et s’ordonne d’une unité de temps à l’autre (le jour, l’année, le cycle des taches solaires, l’ère précessionnelle, la Grande Année, etc.) et les formes, les structures, les archétypes se présentent différemment d’une unité à l’autre, posant toujours à neuf un éternel problème,

quoique, dans une autre lecture, les drapeaux se réitèrent en effet dans l’espace (c’est le motif même) et le principe s’inverse dans la précession, comme de l’entropie à la renaissance.

Ce n’est pas demain que nous résoudrons ce problème, le nôtre, comme nous en prenons mieux conscience chaque jour.

Mais, si aucun système n’est éternel, nous savons que tout système tient le temps nécessaire pour résoudre son problème, avant que d’être contredit par une dialectique autre.

La concordance

Il reste donc qu’aucune justification ou défense critique ne saurait valider un système d’univers, car une telle défense se situe hors du système et se fonde précisément sur des lois ou principes qui ne le concernent pas. Le seul système évidemment valable porte en soi-même la preuve de sa validité.

C’est au plus haut degré le cas des huit précis, dont le simple énoncé – chronologique – vérifie la nécessité, dans le cadre du contingentement cyclique.

Les 8 précis marquent chacun la fin d’une époque : des prophètes, des philosophes, des scientistes, de l’imposture.

Leur temps même correspond à une découverte décisive dans la quête de l’Amour ou de l4esprit Libre : l’ambre ou le cristal, la sympathie ou la probabilité quantique, l’afférence ou l’a-causalité, le jeu.

En même temps que les phases les plus évidentes de la dégénérescence d’un dieu : IHV le Bélier ou l’IHS le Poisson, ils sont des jalons non moins manifestes de la renaissance inverse sur quelques 360 ans.

Jean-Charles Pichon   1982

Illustration Pierre-Jean Debenat


[1] Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (Garnier).

[2] Karl Jaspers, les Grands Philosophes (Plon).

[3] Du même nombre 4π = 12,566, considéré comme unité quantique, se déduisent :

a) la durée radioactive du corpuscule :

4π(e -1) = 21,59 = τ⁴ en posant : τ = 3(e – 2),

b) les séries ésotériques :

12,56(e – 1) = 21,59,

125,6(e – 1) = 215,9

1 256(e – 1) = 2 159,

aussi proches que possible des nombres platoniciens, apocalyptique ( 1 260) et joachimique (2 160), etc.

[4] O. – E. Briem, Les sociétés secrètes de mystères (1950, Payot, pages 140 ss).

[5] Voir La machine de l’éternité (Editions Cohérence).

[6] D’où l’illusion : les Temps anciens n’ont pas connu de progrès, ni la même « densité » que les nôtres.

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