Première partie : LE GRAAL – I – Les formes du Temps

Première partie :

LE GRAAL

 

Illustration Pierre-Jean Debenat

 

I

Les formes du Temps

 

Je nomme les Lectures du Graal une promesse et une réponse, selon qu’il m’est donné comme une G.I. ou que je l’institue comme un S.S.P. Je nommerai Délits les changes (translations, mutations) du S.S.P. à la G.I. ou à l’inverse. Mais le temps n’est pas venu de s’en expliquer.

A ce plan du Graal, tout est contenu entre les deux lectures : une promesse et une réponse. Cette circonstance n’est point particulière au Graal. Toutes les « plus grandes images » la reproduisent. Car il s’agit toujours d’une longue période, d’au moins mille ans (et de plutôt 12 siècles) entre une promesse et une réponse. Deux millénaires avant le millénium du Graal, ce fut la G.I. de l’Alliance. Quatre millénaires avant le Graal, ce fut la G.I. de l’Eden.

Jusqu’en notre 18ème siècle, personne ne doutait que l’Eden s’était situé vers 4000 avant le Christ, et l’Alliance vers 2000 avant J.-C.  Historiquement datés par le rationalisme, le temps de la Création (du nombre et de l’écriture, entre autres) et le temps d’Abraham, de la Justice-foi, se situent aux mêmes dates : entre le Tigre et l’Euphrate le premier (Jemdet-Nashr), au nord de la Palestine le second (le Harrar).

En ce qui concerne le temps de la Création, de ses experts ou « apkalu » depuis les « nomes » égyptiens jusqu’à la 1ère dynastie ou depuis les « tells » mésopotamiens jusqu’à l’ultime Warka, il est contenu en ces deux lectures : du Livre de la Création et du Livre de l’homme qui a vu (Gilgamesh). L’homme de la promesse, Adam, a légendairement vécu mille années; et l’homme de la réponse (Oupanishtim ou Noé) a vécu ces mille ans aussi.

En ce qui concerne le temps de la Justice ou de l’Alliance, de ses justes ou des patriarches (dans la Genèse) et des livres des rois, mille ans plus tard. L’ensemble des lectures constitue le Pentateuque, ou les 5 Livres d’inspiration divine : Genèse, Exode, Deutéronome, Lévitique, Nombres quelquefois dénombres tout autrement.

Toutes les quêtes du Graal, inconscientes ou conscientes, content le temps qui s’est écoulé entre la formulation du Graal, après la mort du Christ, et son élucidation, au 12ème siècle.

La promesse — Elle est un évènement : la Création (ou le mythe de Création), l’alliance/justice (ou le mythe de Justice), l’amour/nourriture (ou le mythe de l’Amour). Evénementielle, elle est divine. C’est Dieu Même qui, d’abord, se fait le Créateur, ou le Justicier, ou l’Amant.

La promesse, par suite, n’est pas autre que l’Etre Même : « Je te crée créateur », « Je tu juge justicier », « Je t’aime, aimé/amant ». Matériellement — car elle n’est pas abstraite — la promesse est aussi l’engagement, le lien : un lieu, l’Eden, une durée (de la race d’Abraham), une nourriture (le corps et le sang du dieu).

Mais cette Terre édénique, cette Race, cette Nourriture sont éternelles, à une seule condition près : que Je s’accepte conditionné par le Réel, par ce qui est, par Dieu.

Ce lieu, l’Eden, est aussi une permanence, pour la race d’Adam, l’espèce humaine, et une nourriture, de la Voix d’Elohim, du souffle divin. Cette permanence, la Race d’Abraham (et, plus généralement, celle des Justes : les Brahmanes dans l’Inde) résidera en un lieu : l’Egypte pour Jacob, Quetta, Argos, elle y trouvera sa nourriture : l’Alliance même.

De même et autrement, cette Nourriture, le corps et le sang du Christ, fera la subsistance, la permanence de Je, en un lieu plus mal défini mais encore situé à l’Ouest, à l’occident : Rome, d’abord, quelque Bretagne plus tard.

Cette nourriture, cet engagement, ce lieu ne sont qu’un. Ensemble, ils constituent la première lecture, la Promesse, que portent le Livre de la Création, le Livre de l’Alliance (des patriarches), les Evangiles, vers -4000, ou -2000 ou l’an 0. Ineffaçables, les trois livres. Car il n’y aurait pas de création (ni de technique), de justice (ni de loi), d’amour (ni de charité) sans eux.

Mais quelque chose est advenu ou s’est produit — un acte de Je — qui m’a délié de la promesse, qui l’a changée en un défi.

Le déliement achevait le temps de la promesse. Le défi exigeait une réponse, après les 10 ou 12 siècles.

La réponse — La promesse, en sa substance même, fut un acte (divin) de description nouvelle de ce qui est : l’évènement qui produisit la G.I. : Eden, Alliance, Graal. La réponse n’est jamais qu’une description des actes, agis par Je, qui ont conduit de la promesse à la réponse.

Celle-ci se développe — dans le temps — par la description des générations d’Adam, ou des Tribus (de Jacob, puis de Moïse), ou des Quêteurs : la description des personnages ou des acteurs. Il suit que la dialectique de la promesse se joue entre les deux : le dieu ou l’homme-je (Adam, Abraham, l’homme en soi). Mais la réponse comporte des éléments innombrables, ou autant de réponses qu’il y eut d’acteurs ou de moyens : la réponse de Noé ne fut pas celle de Caïn, ni celle de Salomon celle de Dan, ni celle de Galaad celle de Gauvain.

Si la Promesse fut l’Unité (de l’Etre Même) et la Réponse une pluralité (ou un néant), il demeure certain que l’humanité est revenue de ce néant à cette unité, un certain nombre de fois. Il s’en déduit que l’Unité n’est pas unique : elle peut être une singularité (par opposition à la généralité), ou une partialité (en une totalité). Et que son opposition peut être une généralité ou une totalité.

C’est ainsi que la totalité de la Réponse : les œuvres de la création, le Pentateuque, les Quêtes du Graal, contient de fait une généralité, dont chaque action d’un descendant d’Adam, une tribu, un quêteur ne fut qu’une partie, en même temps qu’une singularité.

Si, donc, la Promesse tient en un livre, une lecture : du Livre de la Création, de la vie d’Abraham, de l’Evangile, la Réponse tient en de nombreux livres : les livres des Témoins, les cinq du Pentateuque, les Quêtes du Graal. Nous savons seulement que ces livres furent écrits dix ou douze siècles après le temps de la Promesse : vers -3000, vers -1000, vers 1180/1260.

Car toutes les quêtes du Graal, entre autres, tiennent entre le 12ème siècle (1180) et le milieu du 13ème (1260?) : elles traitent toutes de la réponse que Je apporte au problème du Graal, quand les écrits et les lectures des premiers siècles n’en contenaient que la promesse : le premier Graal.

Le déliement et le défi — Présentées de la sorte, cependant, les lectures demeurent inintelligibles, car je ne distingue pas du tout le rapport qui devait exister entre la Promesse (l’Eden, l’Alliance, le sang Réal) et la Réponse, mille ans plus tard. On ne répond qu’à un défi, alors qu’on se délie d’une promesse.

Quelque chose dans les mille ans a dû se produire entre les deux lectures : un déliement de la promesse divine par l’homme, un défi de Dieu à l’homme, auquel celui-ci dut répondre.

Or, le défi, cet évènement, et le déliement, cet acte, sont toujours longuement commentés dans les textes. D’une certaine manière, la promesse s’achève ou se complète par ce défi. La réponse, l’action humaine, s’amorce dès le déliement.

Le défi — Les livres de la Promesse se fondent sur le 4. Dans le passé le plus lointain, il s’est agi des 4 fleuves de l’Eden, d’une manière peu intelligible (pour l’homme du 20ème siècle chrétien), mais aussi par la formation (ou la Genèse) de l’Androgyne et par la création proprement dite d’Adam et d’Eve, puis par le destin des Frères, fils du Couple, et par celui du Fils Seul, de l’Adam mâle/femelle : Seth.

Au 1er Adam, « qui se nourrissait d’herbe », l’Eden appartint sans partage, ainsi que sans restriction. Il en sera de même pour sa descendance, celle de Seth, d’où Noé, Abraham et Jésus sortiront. Une race à demi divine, en quelque sorte, qui maintiendra dans son intégrité la pure promesse.

Au 2ème Adam, « maître de tous les animaux et qui se nourrissait d’eux », est réservé le défi de Dieu : « Tu ne toucheras pas à l’arbre du Savoir, mais seulement aux fruits de la Vie », ou, sinon, tu seras arraché à l’Eden. Le défi se présente ici comme une interdiction : tu ne passeras pas outre; et, par suite, comme une limitation, la plus parfaite de toutes les limitations : la mort.

Les Livres de la promesse suivante, l’Alliance, se fondent également sur le 4 : les 4 patriarches d’abord : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, les 4 cardinaux ensuite, où tous, de Jacob à Ezéchiel, tenteront de répartir les 12 tribus.

Ici, de même, une 1ère promesse a été transmise à Abraham : une race invincible naîtra de ton sexe (circoncis), la terre lui appartiendra. Bien évidemment, cette Terre Promise est celle du plus grand empire de l’époque : l’Egypte, qu’Abraham a visité et que Joseph dominera.

Pourtant, au terme du Livre de la Promesse, elle sera tout autre : Vous reviendrez en votre territoire, a dit Jacob à Joseph, et Joseph le redit à ses frères quand, maître de l’Egypte, il pardonne à ses frères de l’avoir vendu.

Tout le monde sait que les Evangiles, les Livres de la 3ème Promesse, sont 4. Plus tard, ces 4 évangélistes seront imagés par des animaux, symboles eux-mêmes des Eléments : le Taureau de Terre, le Lion de Feu, l’Aigle d’Air, l’Homme-Poisson.

Ici, la promesse innocente et pure ouvre le recueil : Je suis pour vous nourrir, par mon sang et ma chair, par mon amour. Celui que je nourris ne périt point. Mais, dans le dernier évangile, de Jean, la promesse s’est faite tout autre : Je ne serai plus là, un jour, l’autre viendra, le Consolateur, le Paraclet, l’Esprit, qui vous comblera de ses dons. Pour le recevoir, il ne vous suffira plus de vous nourrir de moi, mais il faudra que vous vous aimiez les une les autres.

A chaque fois, pour que l’homme-je ne s’y trompe pas, quelque désastre est annoncé, qui doit séparer la promesse pure de la promesse défi :

« Tu peineras et mourras » a dit le Souffle à l’Adam deuxième.

« Vous peinerez et souffrirez (au point de vouloir quitter l’Egypte) » a dit IAV à Jacob, puis Jacob à Joseph, puis Joseph à ses frères.

« Vous souffrirez et me trahirez, comme Judas » a dit le Christ à ses apôtres, dans l’évangile de Jean.

Car le déliement n’est pas moins assuré, annoncé, proclamé que le défi. Je ne peut que désobéir.

Le délit — Il échappe aux promesses ou aux formes du Temps. Il fait cependant l’objet de la seconde lecture, et impose la réponse au défi précédent. D’une certaine manière, il remplit les 12 siècles qui s’écoulent d’une lecture à l’autre. Car la promesse est double : promesse pure, défi. Mais le déliement est innombrable.

Adam s’est délié, puis Caïn, puis les femmes tentées par les anges, puis le créateur de Babel : Nemrod (ou Nemred ou Nami, selon les religions). La race d’Adam a eu son mal (Caïn), la race de Seth le sien (Japhet ou Cham), la race de Sem le sien (Nemrod), etc.

Abraham a commis sa faute (donner son épouse pour sa sœur), les fils de Jacob ont commis la leur (vendre Joseph), Moïse doutera, le Peuple adorera le Veau d’Or, etc.

Parmi les apôtres, Judas a trahi le Christ. Parmi les quêteurs du Graal, Melyant se trompera et Lyonel trahira. Lancelot, Hector, bien d’autres, n’iront pas jusqu’au bout de la Quête.

Mais le nombre des coupables est tel, ici, qu’ils ne peuvent appartenir seulement aux Lectures ou, plus précisément, à une Grande Image. Car, tous,  ils ont joué d’un système de symbole physique, d’une technique, d’une loi, d’une morale, qu’ils ont placés, en quelque sorte, au-dessus de Dieu, jusqu’à nier Dieu. Ils n’ont pas respecté les « formes du Temps », leur préférant « le temps d’une mode ».

Reste la question : lequel précède l’autre, du déliement ou du défi?

Jean-Charles Pichon

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